La nuit fût brève. Le sol était dur,
les températures étaient basses. D'autant que dormir dans une tente
m'a toujours donné l'impression de dormir dans une bulle de
plastique.
Le réveil sonne, je suis déjà
réveillé.
Le temps de faire les sacs dans la
rosée, nous sommes attablés dans la maison du jardin où nous avons
dormi. Nous reprenons vie en buvant du maté et en fumant une petite
pipe de fleurs comme des chats dans les premiers rayons du soleil. La
journée s'annonce déjà longue.
Quelques minutes plus tard, nous
arrivons dans une station service à la sortie de Bahia Blanca. Le
truc mi-lugubre mi-drôle, avec ses bus entiers qui viennent prendre
un petit déjeuner, ses routiers et ses chiens errants. Mais pas ses
auto-stoppeurs, on a pas le droit de rentrer boire un café avec les
sacs. Connard.
Nous prenons place sur le bord de la
Ruta 22 qui part plein Ouest, vers Neuquén. Une douce odeur
de vermine vient nous soutenir dans notre tâche. Plus le soleil
monte, plus il fait chaud. Et rapidement, les couches de pulls
enfilés pour affronter les fraicheurs de la nuit deviennent
étouffantes.
Tout comme l'odeur, donc.
Elie fini par tourner la tête du bon
côté. Dans le petit fossé qui longe la route, le cadavre d'un
chien dans un état avancée de décomposition se laisse sécher au
soleil. Ouais, bon, on va prendre un café.
Entre temps, d'autres auto-stoppeurs
sont arrivés. Un jeune du coin qui va aussi à Neuquén et qui
n'essaye qu'avec les camions et un groupe de trois jeunes babos, en
route depuis trois jours et chargés comme des ânes.
Après s'être rafraichis et restaurés,
nous retournons au bord de la route, à quelques mètres du chien
mort. Quand on s'en approchera vers midi, l'odeur a failli faire
rendre ; à l'Efle, son sanwich pain de mie d'autoroute qui ferait passer
un sandwich seuneuçeufeu pour un kebab frite berlinois.
Les voitures et les camions défilaient
sous nos yeux. Le soleil en pleine face, nous tentions vainement de
sourire avec grââââce. Ne récoltant que signes embarrassés et
indifférences appuyées.
Et comme toujours, au moment où toute foi semblait fuir nos âmes pécheresses, deux gitanos viennent
taper la discute. Père et fils sans doute. L'un n'est qu'au début
de sa trentaine, l'autre qu'à celui de sa puberté. Rieurs et
sympathiques, nous échangeons diverses informations pratiques –
comment dire « suce ma bite » en français. Trois souces
ma bitch plus tard, que déjà
le père roule un pétard et à peine est-il allumé, qu'il sort un
étrange paquet.
Dans
un sac, un emballage de papier journal. À l'intérieur duquel, des
feuilles. Il arrache le papier et enfourne une pincée de feuille
qu'il range entre sa gencive et sa joue.
Très
fier, le fils se marre en nous disant « Coca, coca »
Nous
sommes polis, curieux, nous voulons goûtez les spécialités
locales. Evidemment, il n'y a pas de problème. Ça ressemble aux
feuilles de lauriers qu'il y avait de la cuisine de mon grand-père.
Tu
parles. Après quelques minutes, la lèvre puis la bouche s'endorment langoureusement.
Nos
camarades disparaissent quand arrive leur bus, ce n'est pas grave,
là, tout de suite, il fait beau, on est bien.
Doucement,
c'est la gorge qui s'endort. Sans être ni un grand amateur, ni un
grand consommateur, il m'est déjà arrivé de prendre de la coke.
Les sensations se ressemblent mais c'est pas le même délire, c'est
beaucoup plus agréable, presque doux. Un comme si tu goûtais de la
mayonnaise faite maison après n'avoir connu que la mayonnaise du
grec en bas de chez toi.
Et
bien sûr, ça te donne un bon coup de fouet. Il est midi et demi, on
y est depuis 8 heures du matin, une banane de malade. Ça loupe pas,
on trouve une voiture.
Un
jeune mec nous propose de nous avancer de 140 kilomètres. Il va
rendre une voiture de location à Trelew - Ach ! Les allemands
en Argentine – il peut nous déposer vers Rio Colorado (si jamais
ça t'amuse de regarder sur une carte). Dale !
Y'à comme un goût
de trop bon, forcément, il faut revenir à de plus terriennes
réalités. En regardant passer le paysage, dans une contemplation
méditative de la plus vive intensité, j'aperçois un panneau de
signalisation zoophytomachinchose. Après le temps de latence
requis, je percute en voyant des gens en uniforme et une sorte de
péage étrange.
Mon sac a la
fâcheuse tendance de se balader avec quelques fleurs des plus douces
mais des plus odorantes. J'avale ce qui me reste de feuilles dans la
bouche pour mieux questionner notre conducteur.
Ce serait pour les
fruits et légumes. Ah, très bien, je n'ose demander pour s'il y a
des chiens. On s'inquiète de la présence de trois oranges dans
notre sac – j'avais pas de balles de jongle pour me rendre à une
manif de clowns, deux jours plus tôt.
Mais non, tout ira
bien, parait-il.
Ce qui fût vrai.
Juste un coup d'oeil dans le coffre, 10 pesos de taxe tout ce qu'il y
a de plus légal et vamos Carlos. Nous entrons en Patagonie.
Adieux fait à
notre providentiel chauffeur, nous voilà de nouveau dans une station
service, toujours sous le même soleil et le même trou dans la
couche d'ozone, mais au moins, on a bougé et puis, de toute façon,
y'a de la crème solaire.
Ça tombe bien
d'ailleurs, parce que vu le peu de monde qui s'arrête, dont la
moitié part dans la direction opposé, on est obligé de se remettre
direct au bord de la Ruta 22.
Soyons positifs, la
journée avançant, le soleil ne nous aveuglait plus et nous
permettait d'obtenir le bronzage idéal pour nos nuques.
Là, on a tout
tenté. Les sourires, les supplications, les hurlements, les
Demoiselles de Rochefort, les pom-pom girls, les Soeurs Olsen, Dionne
Warwick, à 17 heures, on était vidés et frais comme des huitres,
un 1er janvier à 6 heures du matin.
Avec encore 400
kilomètres à faire, on relativise, il y a le wifi dans la station
service, un hôtel à côté, on peut toujours arriver le lendemain,
sans problème.
Jusqu'à ce que
Tranquilino arrive. Un beau camion bleu, rempli de coca - cola cette fois -, qui
passe au pas devant nous, levant tout de même un nuage de sable. On
hésite, il ne s'arrête, je m'assoie de dépit. Vingt secondes
passes, et sans avoir pourtant envisagé une prière à un quelconque
être supérieur abstrait, le camionneur nous hèle, il va à
Neuquén. Gracias a la vida.
La cabine est
moumoute, les suspensions moins. Avec le camionneur, on a une
discussion de camionneur. Ah, les chicas argentines, oui, oui, elles
sont belles. Comment je les trouve ? Euh, elles ont le feu en
elles. C'était maladroit, il n'a pas compris.
J'avais pourtant
fait un effort, j'ai les ongles peints en noir.
La Patagonie défile
sous nos yeux, à perte de vue, un désert de buissons et de
broussailles. Océan de verts et de jaunes, de sables et des
feuilles, de pierres et de vents. Eventré par une route, déversant
son flot aéré mais continu de véhicules à crachats bien noirs.
On partage le maté
et le coucher de soleil. Le ciel est mauve, fuchsia, jaune, violine,
orangé, ambré, rouge, ocre, sang. C'est beau et puissant. We're
living like kings.
En approchant, on
contacte le pote qui doit nous héberger, Fran. Enfin, c'est un pote
à lui, mais c'est lui qui gère. Autant que faire se peut. C'est à
dire, que dalle.
Le pote en question
ne répond pas à son téléphone. Le camion nous lâche le long de
la Ruta 22 qui traverse Neuquén, on a l'impression d'être au
bord d'une autoroute dans une zone industrielle fermée. Et avec le
camion, part notre moyen de communication, nous n'arrivons pas à
faire marcher le seul portable que l'on a en Argentine.
C'est pas grave, on
va demander à un passant. Bingo du premier coup. Karma Bitches.
Fran nous explique
que son pote ne répond pas, qu'il est pas dans la ville mène, que
si on veut on peut continuer notre route pour Bariloche. Enfin, c'est
ce qu'on comprend. Il est 22 h 30, la ligne n'est pas bonne. Le
gentil jeune homme qui nous prête son téléphone fini par parler
directement avec Fran. On comprend que c'est mort pour ce soir. Le
centre est à 20 cuadras. Très bien, on va marcher.
On croise peu de
monde, quelques filles qui tapinent qu'on salut, des jeunes, y'a pas
foule, ça fait pas rêver. On hésite à squatter le wifi chez
MacDo.
Non, pas ça,
pitié, il est tard, le premier hôtel bas de gamme fera l'affaire.
On est pas en état
de faire les difficiles.
Et c'est en
marchant à peine un quart d'heure que l'on trouve notre bonheur. Un
petit hôtel tout ce qu'on aime. Sans déco, avec la télé allumé,
le néon bien blanc qui mets en valeur ton teint pêche et le
réceptionniste surpris et ravis de voir deux français.
On a presque rien
mangé, on fait un saut au MacDo en face. Encore plein à cette
heure-ci de familles et de groupes d'amis. On est frappé par les
prix. 12 euros pour un menu normal et un sandwich. MacDo, truc de
riches.
On rentre, la
douche est chaude et propre, un pyjama, un pétard à la fenêtre
pour le son et lumière de la Ruta 22.
La vie est belle,
les amis, la vie est belle.