mardi 11 mars 2014

[Carnet de Bord] De Bahia Blanca à Neuquén

La nuit fût brève. Le sol était dur, les températures étaient basses. D'autant que dormir dans une tente m'a toujours donné l'impression de dormir dans une bulle de plastique.
Le réveil sonne, je suis déjà réveillé.
Le temps de faire les sacs dans la rosée, nous sommes attablés dans la maison du jardin où nous avons dormi. Nous reprenons vie en buvant du maté et en fumant une petite pipe de fleurs comme des chats dans les premiers rayons du soleil. La journée s'annonce déjà longue.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons dans une station service à la sortie de Bahia Blanca. Le truc mi-lugubre mi-drôle, avec ses bus entiers qui viennent prendre un petit déjeuner, ses routiers et ses chiens errants. Mais pas ses auto-stoppeurs, on a pas le droit de rentrer boire un café avec les sacs. Connard.

Nous prenons place sur le bord de la Ruta 22 qui part plein Ouest, vers Neuquén. Une douce odeur de vermine vient nous soutenir dans notre tâche. Plus le soleil monte, plus il fait chaud. Et rapidement, les couches de pulls enfilés pour affronter les fraicheurs de la nuit deviennent étouffantes.
Tout comme l'odeur, donc.
Elie fini par tourner la tête du bon côté. Dans le petit fossé qui longe la route, le cadavre d'un chien dans un état avancée de décomposition se laisse sécher au soleil. Ouais, bon, on va prendre un café.
Entre temps, d'autres auto-stoppeurs sont arrivés. Un jeune du coin qui va aussi à Neuquén et qui n'essaye qu'avec les camions et un groupe de trois jeunes babos, en route depuis trois jours et chargés comme des ânes.
Après s'être rafraichis et restaurés, nous retournons au bord de la route, à quelques mètres du chien mort. Quand on s'en approchera vers midi, l'odeur a failli faire rendre ; à l'Efle, son sanwich pain de mie  d'autoroute qui ferait passer un sandwich seuneuçeufeu pour un kebab frite berlinois.

Les voitures et les camions défilaient sous nos yeux. Le soleil en pleine face, nous tentions vainement de sourire avec grââââce. Ne récoltant que signes embarrassés et indifférences appuyées.
Et comme toujours, au moment où toute foi semblait fuir nos âmes pécheresses, deux gitanos viennent taper la discute. Père et fils sans doute. L'un n'est qu'au début de sa trentaine, l'autre qu'à celui de sa puberté. Rieurs et sympathiques, nous échangeons diverses informations pratiques – comment dire « suce ma bite » en français. Trois souces ma bitch plus tard, que déjà le père roule un pétard et à peine est-il allumé, qu'il sort un étrange paquet.
Dans un sac, un emballage de papier journal. À l'intérieur duquel, des feuilles. Il arrache le papier et enfourne une pincée de feuille qu'il range entre sa gencive et sa joue.
Très fier, le fils se marre en nous disant « Coca, coca »
Nous sommes polis, curieux, nous voulons goûtez les spécialités locales. Evidemment, il n'y a pas de problème. Ça ressemble aux feuilles de lauriers qu'il y avait de la cuisine de mon grand-père.
Tu parles. Après quelques minutes, la lèvre puis la bouche s'endorment langoureusement.
Nos camarades disparaissent quand arrive leur bus, ce n'est pas grave, là, tout de suite, il fait beau, on est bien.
Doucement, c'est la gorge qui s'endort. Sans être ni un grand amateur, ni un grand consommateur, il m'est déjà arrivé de prendre de la coke. Les sensations se ressemblent mais c'est pas le même délire, c'est beaucoup plus agréable, presque doux. Un comme si tu goûtais de la mayonnaise faite maison après n'avoir connu que la mayonnaise du grec en bas de chez toi.
Et bien sûr, ça te donne un bon coup de fouet. Il est midi et demi, on y est depuis 8 heures du matin, une banane de malade. Ça loupe pas, on trouve une voiture.

Un jeune mec nous propose de nous avancer de 140 kilomètres. Il va rendre une voiture de location à Trelew - Ach ! Les allemands en Argentine – il peut nous déposer vers Rio Colorado (si jamais ça t'amuse de regarder sur une carte). Dale !
Y'à comme un goût de trop bon, forcément, il faut revenir à de plus terriennes réalités. En regardant passer le paysage, dans une contemplation méditative de la plus vive intensité, j'aperçois un panneau de signalisation zoophytomachinchose. Après le temps de latence requis, je percute en voyant des gens en uniforme et une sorte de péage étrange.
Mon sac a la fâcheuse tendance de se balader avec quelques fleurs des plus douces mais des plus odorantes. J'avale ce qui me reste de feuilles dans la bouche pour mieux questionner notre conducteur.
Ce serait pour les fruits et légumes. Ah, très bien, je n'ose demander pour s'il y a des chiens. On s'inquiète de la présence de trois oranges dans notre sac – j'avais pas de balles de jongle pour me rendre à une manif de clowns, deux jours plus tôt.
Mais non, tout ira bien, parait-il.
Ce qui fût vrai. Juste un coup d'oeil dans le coffre, 10 pesos de taxe tout ce qu'il y a de plus légal et vamos Carlos. Nous entrons en Patagonie.

Adieux fait à notre providentiel chauffeur, nous voilà de nouveau dans une station service, toujours sous le même soleil et le même trou dans la couche d'ozone, mais au moins, on a bougé et puis, de toute façon, y'a de la crème solaire.
Ça tombe bien d'ailleurs, parce que vu le peu de monde qui s'arrête, dont la moitié part dans la direction opposé, on est obligé de se remettre direct au bord de la Ruta 22.
Soyons positifs, la journée avançant, le soleil ne nous aveuglait plus et nous permettait d'obtenir le bronzage idéal pour nos nuques.
Là, on a tout tenté. Les sourires, les supplications, les hurlements, les Demoiselles de Rochefort, les pom-pom girls, les Soeurs Olsen, Dionne Warwick, à 17 heures, on était vidés et frais comme des huitres, un 1er janvier à 6 heures du matin.
Avec encore 400 kilomètres à faire, on relativise, il y a le wifi dans la station service, un hôtel à côté, on peut toujours arriver le lendemain, sans problème.
Jusqu'à ce que Tranquilino arrive. Un beau camion bleu, rempli de coca - cola cette fois -, qui passe au pas devant nous, levant tout de même un nuage de sable. On hésite, il ne s'arrête, je m'assoie de dépit. Vingt secondes passes, et sans avoir pourtant envisagé une prière à un quelconque être supérieur abstrait, le camionneur nous hèle, il va à Neuquén. Gracias a la vida.

La cabine est moumoute, les suspensions moins. Avec le camionneur, on a une discussion de camionneur. Ah, les chicas argentines, oui, oui, elles sont belles. Comment je les trouve ? Euh, elles ont le feu en elles. C'était maladroit, il n'a pas compris.
J'avais pourtant fait un effort, j'ai les ongles peints en noir.
La Patagonie défile sous nos yeux, à perte de vue, un désert de buissons et de broussailles. Océan de verts et de jaunes, de sables et des feuilles, de pierres et de vents. Eventré par une route, déversant son flot aéré mais continu de véhicules à crachats bien noirs.
On partage le maté et le coucher de soleil. Le ciel est mauve, fuchsia, jaune, violine, orangé, ambré, rouge, ocre, sang. C'est beau et puissant. We're living like kings.

En approchant, on contacte le pote qui doit nous héberger, Fran. Enfin, c'est un pote à lui, mais c'est lui qui gère. Autant que faire se peut. C'est à dire, que dalle.
Le pote en question ne répond pas à son téléphone. Le camion nous lâche le long de la Ruta 22 qui traverse Neuquén, on a l'impression d'être au bord d'une autoroute dans une zone industrielle fermée. Et avec le camion, part notre moyen de communication, nous n'arrivons pas à faire marcher le seul portable que l'on a en Argentine.
C'est pas grave, on va demander à un passant. Bingo du premier coup. Karma Bitches.
Fran nous explique que son pote ne répond pas, qu'il est pas dans la ville mène, que si on veut on peut continuer notre route pour Bariloche. Enfin, c'est ce qu'on comprend. Il est 22 h 30, la ligne n'est pas bonne. Le gentil jeune homme qui nous prête son téléphone fini par parler directement avec Fran. On comprend que c'est mort pour ce soir. Le centre est à 20 cuadras. Très bien, on va marcher.
On croise peu de monde, quelques filles qui tapinent qu'on salut, des jeunes, y'a pas foule, ça fait pas rêver. On hésite à squatter le wifi chez MacDo.
Non, pas ça, pitié, il est tard, le premier hôtel bas de gamme fera l'affaire.
On est pas en état de faire les difficiles.
Et c'est en marchant à peine un quart d'heure que l'on trouve notre bonheur. Un petit hôtel tout ce qu'on aime. Sans déco, avec la télé allumé, le néon bien blanc qui mets en valeur ton teint pêche et le réceptionniste surpris et ravis de voir deux français.
On a presque rien mangé, on fait un saut au MacDo en face. Encore plein à cette heure-ci de familles et de groupes d'amis. On est frappé par les prix. 12 euros pour un menu normal et un sandwich. MacDo, truc de riches.
On rentre, la douche est chaude et propre, un pyjama, un pétard à la fenêtre pour le son et lumière de la Ruta 22.


La vie est belle, les amis, la vie est belle.  

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