vendredi 8 novembre 2013

En attendant de partir

La maison n'est pas la mienne. Elle est sans doute celle d'un ami.
Au milieu des mornes champs picards, elle fleuri, comme par erreur, dans le coeur d'un village sans âme. Caché derrière une porte de bois sans allure.
Malgré son air de moribonde, sa chaude lumière porte et empêche de dormir. On reste la nuit durant, les yeux en forme d'étoiles, collés à la vitre pour mieux regarder dehors le vent bisant les arbres du jardin.
On se remplit les oreilles d'histoires dont nous abreuve le feu chatoyant dans son âtre.
La vie coule doucement entre les longs doigts fins de Novembre.

Une matinée plus froide et plus éblouissante que les autres se dessine au dessus du toit. Par les fenêtres, se détachent de larges morceau d'un ciel bleu amère et profond. D'un bleu de tourmente, intense.
Allongé sur l'épaisse moquette vieux rose, je laisse mes yeux s'ouvrir béats sur ce ciel tirant sur le cobalt. Mon esprit, un instant, va, fuit et s'élève.
Dans les trilles de fleurs s'étirant, il m'emmène un peu plus loin.
Jusque sur ma peau, je sens que je voyage. L'air change, les odeurs aussi. Ce que mes doigts touchent, ce que mes yeux voient. Ce n'est plus la douce maison dans cette fadeur ennuyante.
Je retrouve l'hiver cinglant contre le béton, la neige se tassant le long des murs. Les grandes barres d'immeubles de la banlieue de Kiev. Le regard dissimulé sous les écharpes et les foulards. Et ceux, à peine couvert, le cou offert à toutes les glaces, bravant le vent avec l'indolence de ceux qui connaissent, ceux qui ont l'habitude.
Je vois ces larges avenues se faire devant moi. Avec leurs arbres, leur silence, leurs voitures, parfois leur tonnerre. Tout ce gris s'abattant brusquement. Les enseignes se morcelant, aux couleurs passées et craquelées. Les yeux que l'on croise perdent chaque fois un peu plus de leur bleu.

Dans une chambre aux murs bien trop fins, se pressent sur quelques matelas, coussins et couvertures, des jeunes gens placides. Ils fument et boivent en écoutant trop fort de la musique. Certains s'embrassent et la jolie blonde à bouclette fait vomir le cendrier sur le sol en plastique. On parle de partir, de loin, de ce qu'on trouvera après l'horizon. On parle de la peur dans le ventre, des gens qui sont restés ici, comme ils font peur et comme on ne finira surtout pas comme eux. La fenêtre ouverte sur le ciel livide se confond dans la fumée et des ectoplasmes sortant des bouches.
On roule encore un joint et je reprends le voyage.

Se pressent devant moi, milles image de cette vieille Europe sous les frimas. Ce Nord Majestueux au calme apaisant, à la réserve tranquille. L'Est affichant ses blessures et faisant du passé une cicatrice complexe. La violence des hommes se lisant sur les murs et les murs se lisant sur le visages de hommes.
La neige salie se perd sur les aspérités du bitume étouffant le peu de nature restant, brulée par le froid.
J'erre entre les clôtures défaites, les rails des trains chargés et instables.

Comme un rêve qui se referme, je reviens doucement sur le bord du lit où je suis assis. Je souffle doucement en entendant les bruits de cette réalité là. Les odeurs du repas qui se prépare. Il faut bien retourner attendre sagement le prochain départ.
Je ne suis pas chez un ami, je ne suis pas avec de la famille. Mais c'est presque la même chose.

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